Commentaires sur l’encyclique Laudato Si :
"Loué sois-tu
Sauvegarder la maison commune"
Préambule
Il faut noter tout d’abord que beaucoup des préconisations de l’encyclique sont très pertinentes, notamment l’encouragement à la sobriété et à l’humilité face à un monde d’une richesse et d’une complexité étonnantes. La référence à l’humanisme (§141) et l’idée générale de « sauver la maison commune » ne peut que rassembler tous les hommes de bonne volonté. L’idéal de simplicité et l’exaltation des vertus de la vie communautaire rappellent ce que nous savons des Esséniens, modèle du retour à la pureté originelle.
Ceci dit, malgré la sympathie que j’éprouve envers Notre Saint Père, le Pape François, je ne partage pas entièrement son avis sur plusieurs questions importantes. J’ai donc pris ma plume et je vous livre ci-dessous mes réflexions.
Les idées directrices
A travers tout le texte apparaissent deux attitudes bien marquées :
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Le collectif prime sur l’individuel. A mon sens, la doctrine chrétienne intègre complètement ces deux faces de l’activité humaine et il n’y a pas lieu de les opposer (§208 : dépasser l’individualisme). Quand je lis : « La citoyenneté écologique (est) le meilleur de l’être humain. », je me dis : et la charité ? la solidarité ne s’exerce-t-elle pas d’abord à titre individuel envers le prochain le plus proche ? Un exemple mettra mieux la chose en lumière : la demande des citoyens en direction des élus municipaux afin que la « collectivité » s’engage pour l’accueil des immigrés en détresse (Ile de Ré) me paraît peu de chose en comparaison de l’action des paroissiens qui hébergent chez eux lesdits immigrés en attente de solutions pérennes (Paroisse saint Dominique).
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Il faut sauvegarder, préserver ce qui existe plutôt que prendre l’initiative, innover et créer. L’encyclique ne porte pas à assumer des risques pour promouvoir un monde meilleur ; elle fait référence à un monde figé. Un point particulier étonne : les ressources énergétiques connues seraient limitées (ce qui peut se discuter) donc il faut se les partager et réserver ce qui doit revenir aux plus démunis. Ceci dans l’immédiat constitue une exigence morale, c’est vrai. Mais que diable ! cherchons de nouvelles sources, de nouveaux moyens de stockage et nous desserrerons les contraintes. A cet égard, les discours tenus au XVIIIème siècle à propos de l’épuisement du bois en provenance des forêts sont instructifs. Seulement voilà: pour tirer profit des errements du passé il ne faut pas suspecter par principe le progrès technique d’être destructeur et de véhiculer une vision matérialiste du monde.
Rejet du système libéral
Il est évident pour la grande majorité des gens que l’économie libérale de marché ne peut pas fonctionner sans contrôle, sans organismes régulateurs ; ceux-ci existent de même qu’existent des autorités chargées de veiller à ce qu’une véritable concurrence se maintienne. Les instances européennes interviennent en ce domaine régulièrement et fermement. Rien qu’à entendre les protestations des intéressés on peut se rendre compte que la méthode fonctionne.
A l’échelon international, il reste des progrès à faire. Cependant, des traités internationaux existants ou en cours de négociation vont dans le bon sens. Il y a sans aucun doute encore des abus. Ce n’est pas une raison pour condamner le système sans évoquer les moyens mis en œuvre pour en corriger les défauts et les résultats déjà obtenus. Ses avantages et ses bienfaits sont passés sous silence. Dans le même temps les effets néfastes d’une économie telle qu’elle résulterait des préceptes pontificaux sont occultés comme si n’en pas parler les faisait disparaître.
Quelques exemples montreront l’état d’esprit :
La recherche d’une diminution des coûts de production est considérée comme un objectif illégitime (§141). Or les coûts en question sont constitués pour la plus grande part de travail humain et quoi de plus souhaitable que de produire les mêmes choses avec moins de travail humain ? L’esprit d’entreprise, l’initiative et l’ingéniosité humaine trouveront toujours à s’employer dans des tâches qui ne soient pas de production. Et si la société peut faire vivre une partie de ses membres sans travailler, où est le mal ? Il y a aujourd’hui un problème d’adaptation aux nouvelles formes de travail : ce n’est pas en figeant .les structures, les institutions et les méthodes de production qu’on le résoudra.
Le recours aux crédits carbone est rejeté (§132) au motif qu’il permettrait la spéculation. A ce train-là, que dire de la monnaie ? Faut-il revenir à une économie de troc ? Inutile de souligner que le marché des crédits carbone nécessiterait, lui aussi, régulation et surveillance.
Enfin, ajoutons que dans l’encyclique, le procès des pays développés possédant une économie libérale de marché est instruit uniquement à charge.
L’anathème sur les activités financières
Elles sont considérées comme des activités parasites, mauvaises en soi. Pourtant aujourd’hui elles sont nécessaires au financement de l’économie. Il faut donc les accepter ce qui ne veut pas dire laisser faire n’importe quoi. De fait ces activités sont parmi les plus régulées et beaucoup des excès observés sont dus à une défaillance des autorités de contrôle dont les responsables sont nommés par le pouvoir politique et restent sous sa dépendance. C’est là qu’est le problème. Il serait donc indispensable que les citoyens, les partis politiques et les députés s’informent sérieusement et déterminent selon leurs options politico-économiques le degré de contrôle souhaitable et le niveau d’autonomie des autorités de régulation. Un point très controversé, particulièrement en France, mérite la plus grande attention : la séparation des activités de marché et des activités commerciales. En aucun cas des pertes sur les marchés ne doivent compromettre les dépôts des clients et le fonctionnement des entreprises, ceci sans que le contribuable soit appelé à la rescousse. La situation en la matière n’est pas satisfaisante pour de mauvaises raisons. Mais, il faut reconnaître que lors des récentes crises, malgré quelques pots cassés, les pouvoirs publics ont mis en place avec célérité et efficacité les mesures qu’il fallait pour éviter l’écroulement dramatique du système. Comme quoi le pire n’est pas toujours sûr ; des progrès (concept suspect, je sais) ont été accomplis depuis la grande crise des années trente, notamment en matière de coopération internationale.
En matière financière, une question doit être mise à part : celle des taux d’intérêt. Il faut, à mon sens, distinguer les prêts accordés intuitu personae auxquels on peut, ou plutôt on doit, appliquer les principes évangéliques et ceux qui relèvent du financement de l’économie ; à ces derniers il est légitime d’appliquer les lois du marché, un marché qui lui-même obéit aux impératifs du pilotage de l’économie assuré par les responsables des finances publiques en vue du bien commun.
Méconnaissance des principes et des vertus de la démocratie représentative,
Considérant que l’économie libérale, pour fonctionner correctement et permettre aux pauvres comme aux riches de bénéficier de ses vertus ne doit pas être soumise à des contraintes inutiles mais doit obéir à des règles strictes garantissant l’existence de la concurrence et évitant les dérives frauduleuses, la question se pose de savoir qui va déterminer ces règles et les faire appliquer. Le savoir des professionnels, bien sûr, sera nécessaire ; il ne sera pas suffisant et de loin, c’est évident. Il faudra aussi des économistes, des sociologues, des moralistes, des psychologues etc. pour proposer des solutions. Mais in fine, la décision reviendra aux Pouvoirs Publics donc aux responsables politiques. Et, c’est là que le discours de Notre Saint Père ou celui du Magistère de l’Eglise, si l’on préfère, paraît gravement insuffisant. Il est question (§179) de faire pression sur les institutions, sur les corps constitués de manière puissante mais oblique, comme si les chrétiens et les hommes de bonne volonté en général devaient se contenter d’un rôle marginal ! Pourquoi nos coreligionnaires laisseraient-ils le champ libre aux seuls politiciens qui recherchent avant tout le pouvoir. Beaucoup trop de chrétiens en particulier parmi les jeunes ne prennent pas la peine d’aller voter. Pourquoi certains d’entre eux ne brigueraient-ils, à titre personnel, des mandats électoraux, ne s’engageraient-ils pas dans le rude combat politique. Jacques Delors constitue de ce point de vue un exemple à suivre. Les électeurs peuvent être incompétents, leur seul travail sera d’élire celui qui partage leurs convictions, suivant en cela les principes de la démocratie représentative.
Situation vis-à-vis des générations futures (§159)
Certes nous leur transmettrons des dettes et nous aurons consommé une partie des ressources naturelles ; nous aurons apporté des perturbations dans les équilibres de la biosphère, voire dans l’état physicochimique du globe terrestre. Faut-il pour autant considérer que la balance des actifs et des passifs que nous leur transmettrons est forcément en leur défaveur ? Rien n’est moins sûr ! Tout d’abord, nous leur avons donné la vie en abondance aboutissant à une situation bien différente de celle qu’une politique malthusienne aurait pu produire. La surpopulation n’est pas une bonne chose, un monde en contraction non plus. Les hommes en eux même restent une richesse. Il n’y a qu’à voir les effets de la démographie sur la croissance tant recherchée ! Nous ne sommes pas dans un monde figé où les activités utiles que l’homme peut exercer seraient prédéfinies et en quantité limitée. Le monde est en expansion, les idées fusent, ce n’est pas rien. Nous livrerons à nos descendants un monde quelque peu dangereux mais toujours plein de nouvelles promesses. N’est-ce pas exaltant ? Toujours est-il que le principal actif que nous leur lèguerons c’est le savoir accumulé depuis des générations et des générations dans tous les domaines, savoir auquel nous avons apporté généreusement notre contribution. Les équipements, les réseaux de toute sorte peuvent disparaitre, il restera le savoir, les institutions et les principes : la démocratie, la liberté, la solidarité, toutes choses qui ne vont pas de soi.et qui, malgré des lacunes et des défaillances choquantes, sont encore bien vivantes dans l’esprit des humanistes et restent révérées par la plupart de nos élus. Même si,souvent, il s’agit d’une hypocrisie, il faut s’en réjouir : c’est, selon l’adage, l’hommage du vice à la vertu. A nous replier sur des règles et des concepts figés, nous risquerions de laisser échapper toutes les nouveautés qui permettront de corriger les erreurs que nous avons pu faire.
Attitude envers les pauvres : hommes, groupes particuliers ou nations
C’est un devoir que de secourir ceux qui vivent dans la misère. Cela dit, sachant que tout ne peut pas se faire en un jour, quel est le meilleur moyen pour y parvenir ? Il est clair que souvent, en matière de subsistance, ce ne sont pas les denrées qui manquent ; ce sont les moyens pour les faire parvenir à ceux qui en ont besoin. Là apparaissent les carences des pays bénéficiaires potentiels, carences dans la gouvernance, les compétences et la probité. On a vu les biens offerts par des nations riches et destinés aux pauvres captés par des administrations corrompues et/ou des mafias crapuleuses qui, grâce aux denrées détournées, assoient un pouvoir despotique. Ce n’est pas une raison pour baisser les bras mais il faut voir les choses avec réalisme sans pour autant s’immiscer dans la gouvernance locale et ses implications politiques. On ne peut pas dire que l’encyclique s’attarde sur ce sujet-là.
La bonne approche, selon moi, consiste à considérer que tous les pauvres parviendront à devenir riches quand les citoyens seront capables de choisir des dirigeants efficaces indépendamment de toute question religieuse ou idéologique. Par conséquent l’enseignement et la formation sont essentiels. Accueillir des étudiants dans nos universités et financer des écoles sur place, des universités aussi, est plus important que bâtir des plans de développement. Accorder des bourses aux élèves les plus méritants, osons le mot, est meilleur que d’inviter les enfants de dirigeants qui, une fois diplômés, partiront travailler aux Etats Unis ou représenteront leur pays dans l’un ou l’autre de ces organismes internationaux dont les missions sont prestigieuses et l’utilité discutable.
Nature et morale naturelle
Faut-il vraiment suivre l’avis de Notre Saint Père et considérer que la nature, fondamentalement bonne à l’origine, aurait été pervertie par des hommes irresponsables ? Une telle conception renvoie évidemment au paradis terrestre et à tout ce qui s’ensuit. Est-ce suffisant pour valider la chose ? Pour y souscrire, il faudrait occulter toutes les luttes, toute la compétition entre espèces vivantes et même entre individus d’une même espèce bien antérieures à l’apparition de l’homme sur la terre. L’homme est le produit de ces luttes. Il n’en serait pas moins stupide de nier les tendances altruistes qui existent notamment chez les mammifères supérieurs, à commencer par le dévouement des parents envers leur progéniture, nécessaire à la survie de l’espèce. Probablement le développement de ces comportements altruistes au-delà de la cellule familiale est-il nécessaire, lui, au développement de la vie sociale et à l’aptitude à coopérer qui, entre autres, font le succès de l’espèce humaine. Il est donc raisonnable de penser que dans la nature humaine coexistent d’un côté des pulsions égoïstes qui peuvent s’exprimer de façon violente et despotique et de l’autre des tendances altruistes conduisant à aider les faibles, à éduquer les pauvres, à faire régner la justice et la paix.
Dans cette perspective, le Christ serait venu afin de donner aux hommes le goût et l’envie de développer ses aptitudes innées à l’altruisme. Si la nature était fondamentalement et exclusivement bonne, quel besoin aurait-on d’un rédempteur ? Quand l’encyclique affirme qu’il existe une morale naturelle, ne s’agit-il pas de la trace laissée dans tout l’occident par des siècles d’une foi chrétienne sincère qui véhicule un idéal d’amour et de charité ? Cet idéal, bien que souvent bafoué, n’en inspire pas moins indirectement toutes les constitutions qui sont les textes fondateurs des démocraties modernes. Ainsi, l’église attribue d’autant plus volontiers un caractère naturel à cette morale qu’elle est finalement le reflet de ses propres convictions.
Philanthropie et charité : les voies du développement des pays possédant des richesses naturelles
Aujourd’hui, la charité a dérivé vers la philanthropie. Malheureusement, les principes religieux, quels qu’ils soient, ne sauraient inspirer une politique efficace visant à optimiser le bien être de chacun. Evidemment, définir l’optimum du bien-être est chose fort difficile puisque, d’après les sondages les plus crédibles, le bonheur d’un individu dépend largement des comparaisons qu’il peut faire avec la situation d’autres personnes ou catégories de personnes, au point que dans une société totalement égalitaire, le bonheur pourrait n’être qu’un mirage et la motivation pour améliorer le sort commun totalement absente. La voie à suivre a été évoquée un peu plus haut : il s’agirait de mettre les populations pauvres en mesure de défendre leurs intérêts et d’exploiter leurs richesses naturelles. A cet égard, le cas de la rente pétrolière est instructif : pour tirer profit d’un gisement, il est nécessaire qu’il y ait un marché (qui n’a rien de magique) et des investissements dans la prospection et la mise en exploitation. Faute de structures collectives à l’échelon local aptes à investir et par là même à prendre des risques, le recours à des entrepreneurs privés, étrangers dans le cas considéré, fournit une solution naturelle. Une fois l’exploitation lancée, le partage de la rente s’impose bon gré mal gré, si rente il y a. Les ressources obtenues ainsi, à condition qu’elles soient entre les mains de personnes ou d’organismes avisés ne prélevant à leur profit qu’une part raisonnable, permettent aux pays détenant au départ des richesses à l’état brut de défendre légitimement leurs intérêts et de financer un développement économique profitable à tous les citoyens. Encore faut-il qu’un pouvoir solide, accepté par la population permette à chacun d’agir rationnellement dans un contexte socio politique stable ou du moins prévisible. L’exemple de certains pays du Maghreb et du Moyen-Orient arabe ou perse montre que ce schéma peut fonctionner. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas ; mais ce ne sont pas forcément les pays qui ont fait les premiers investissements qui en sont responsables.
Quoi qu’il en soit, une fois les populations pauvres arrivées à un niveau de développement suffisant, elles sauront très bien défendre leur patrimoine, conserver si elles le souhaitent leur façon de vivre et promouvoir leur culture. Dans une phase intermédiaire il peut être utile, voire nécessaire, de leur apporter une aide afin de leur donner les moyens de sauvegarder leur culture, encore que la vision des pays susceptibles d’intervenir sur ce qu’il convient de faire ne soit pas forcément celle des pays qui ont besoin d’aide. Donc, aussi grande soit l’admiration que nous avons pour les œuvres relevant de cultures étrangères, il est préférable que chacun juge lui-même des mérites de son patrimoine.
Catastrophisme généralisé
A en croire l’encyclique, le monde courrait à sa perte : les pauvres seraient condamnés à vivre dans la misère et, uniquement soucieux de consommer, ils perdraient leurs racines culturelles, les nations se dresseraient les unes contre les autres pour capter les ressources naturelles, à commencer par l’eau. Les espaces naturels seraient dévastés, la vie en général et plus particulièrement la vie humaine seraient menacées en raison d’une part de la disparition de nombreuses espèces et d’autre part de manipulations génétiques inconsidérées visant soit à faire des profits, soit à atteindre des buts défiant l’éthique, soit encore à satisfaire une volonté de puissance qui transformerait les savants en démiurges. Et, cette vision catastrophique de l’avenir est présentée comme s’il s’agissait d’une révélation. En réalité, toutes ces préoccupations ne sont pas nouvelles ; les hommes individuellement, les politiques, les organismes publics et privés, nationaux et internationaux, et les savants dans leur majorité se sont interrogés sur les conséquences du progrès technique. Qu’il faille mobiliser et coordonner toutes ces énergies pour se protéger des risques qui effectivement ne sont pas niables, soit ! Et, l’initiative pontificale doit être saluée comme un appui exceptionnellement puissant à la sauvegarde de principes éthiques immuables. Et pourtant, après avoir salué les bienfaits obtenu grâce à la science et la technologie, Notre Saint Père conserve une grande méfiance envers la recherche scientifique et technique (§105, §109, §136) alors que la société civile manifeste comme elle ne l’a jamais fait auparavant le souci de maîtriser les éventuelles conséquences néfaste du progrès :
des normes et des règlements toujours plus nombreux montrent bien le souci permanent du législateur et des Pouvoirs Publics d’encadrer les conséquences des innovations et, plus important encore, le principe de précaution, un principe inscrit dans la constitution avec toute la solennité possible, constitue une avancée considérable, fondée sur une approche novatrice par rapport à la façon dont étaient traités jusqu’ici les risques que les innovations techniques sont susceptibles d’entraîner. Pourquoi l’encyclique n’en dit-elle rien ? Appliqué de manière raisonnable ce principe doit permettre la maîtrise des développements futurs que tous désirent ardemment, sans renoncer aux bienfaits attendus du progrès scientifique.
Enfin, comment peut-on se montrer aussi restrictif quand on sait, et ce ne sont que deux exemples : que un milliard d’hommes, et sans doute beaucoup plus ont été tirés de la misère par les progrès de l’agriculture et des moyens de transport et que la mortalité infantile a diminué pratiquement de moitié entre 1990 et 2013 (Rapport UNICEF diffusé le 16/09/15) grâce aux progrès de la médecine et de l’hygiène ? Tout cela est troublant et dénote, à mon sens, un manque de confiance vis-à-vis de l’homme et de ce qu’il pourrait faire dans le futur.
Aspect rhétorique du texte
Les convictions sincères de l’auteur, la pertinence de certains arguments et la sympathie que personnellement il inspire peuvent pousser le lecteur à souscrire un peu vite aux points de vue développés dans l’encyclique. Néanmoins, il faut prendre conscience que les opinions exposées le sont sans débat et que les objections légitimes de ceux, même bons chrétiens, qui sont d’un avis différent sont presque toujours passées sous silence.
La rhétorique de Notre Saint Père, parfaitement maîtrisée, est pour beaucoup là-dedans.
Les procédés techniques consistent à
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Prêter aux opposants des opinions outrancières pour les discréditer (§144 et §196).
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Utiliser des expressions péjoratives pour désigner les attitudes, les usages, les systèmes que l’on combat: « raison instrumentale » (§219), « conception magique du marché », « confiance irrationnelle dans le progrès (§19) », « paradigme technocratique dominant » (§81), « logique de fer » (§108) etc. L’étape suivante est la diabolisation sur des bases purement idéologiques et enfin la condamnation sans débat. Ceci mené très habilement, sans anathème trop bruyant, sans propos ouvertement vindicatifs.
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Accorder une signification particulière à un phénomène général: le fait que la règlementation ne soit pas appliquée, qui s’observe dans tous les domaines, serait ici le signe chez les fautifs d’une hostilité particulière envers les préoccupations environnementales. Toujours et partout les acteurs économiques cherchent à tourner les lois et règlements : aux autorités de contrôle et de régulation de faire leur boulot, aux hommes politiques d’exiger que les investigations soient faites et les sanctions prononcées et appliquées.
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Le vocabulaire pour impressionner : par exemple, le mot autoréférentialité (§208) ; dans le contexte où il est utilisé égocentrisme eût été plus adapté et plus compréhensible par les non-initiés.
Problème de méthode dans l’action concrète
Certes les questions d’environnement et de justice sociale ont des liens ; ce n’est pas pour autant que les actions menées en vue d’améliorer la situation dans chacun de ces deux domaines doivent être conditionnées les unes aux autres : si l’on attend que les pays démocratiques aient renoncé à l’économie libérale pour s’engager dans les mesures qui permettront de limiter le réchauffement climatique, la situation n’est pas près de s’améliorer.
Conclusion
Les accents prophétiques du Pape en ces temps de doute sur la pertinence des modèles de développement de nos sociétés économiquement avancées peuvent donner l’impression réconfortante que quelqu’un, enfin, dispose d’une boussole. Que le Pape ait ainsi l’ambition de tenir le rôle de guide inspiré me paraît tout à fait naturel. Et il faut admirer son audace ainsi que la force communicative de ses convictions. Cependant, il semble que la conversion à laquelle il nous invite doive s’accompagner du rejet de l’économie libérale de marché. Il s’agit là d’une option lourde qui mérite un débat spécifique. D’autant plus que, à ma connaissance, la définition de ce qu’est un système économique compatible avec l’enseignement des Ecritures reste une question ouverte et que les principes fondateurs de l’écologie n’impliquent pas, non plus, d’écarter tel ou tel système.
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Auteur : Jean-Pierre de Sarrau
Source : ce document est téléchargeable sur le site de
l’ AEPN – Association des Ecologistes Pour le Nucléaire :