dimanche 2 mars 2008

"Comment «Atomic Anne» a imposé Areva"

L'épopée d'Anne Lauvergeon chez Areva, un vrai roman !


"Le modèle Areva ? C'est le meilleur, assure Anne Lauvergeon. La preuve : tout le monde l'imite ! «General Electric se dote d'une structure comparable à la nôtre, les Russes aussi, constate la patronne d'Areva C'est Vladimir Poutine en personne qui l'a annoncé. Mais nous avons cinq ans d'avance.» Avec 11,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2007, près de 40 milliards de commandes et 61000 collaborateurs dans le monde, Areva n'est peut-être pas un géant à l'échelle des grands groupes industriels mondiaux. Mais l'idée qui a présidé à sa création est limpide. Le magazine américain Forbes a trouvé la formule qui la résume le mieux en parodiant l'enseigne d'une célèbre chaîne de magasins de jouets : «NukesR Us» («le nucléaire, c'est nous»).
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Concrètement, cela signifie que le groupe public français est à ce jour le seul du secteur à abriter sous son toit tout le «cycle du combustible» : de la mine au retraitement en passant par l'enrichissement de l'uranium, la production du combustible, la construction de réacteurs - et leur entretien, très rentable. A quoi s'est ajouté un pôle «transmission et distribution» racheté à Alstom en 2004, devenu lui aussi très profitable. «Anne Lauvergeon a construit un groupe que le monde entier nous envie», s'enthousiasme l'analyste de HPC, André Chassagnol.Ce n'était pas gagné d'avance. «Même dans nos rêves les plus fous, nous ne pensions pas en arriver là», raconte un participant de cette aventure. Lorsque, en 2001, Anne Lauvergeon fait le pari de créer Topco, nom de code du futur Areva, Lionel Jospin lui donne son feu vert, mais bien peu parient sur ses chances de succès. Le contexte n'est pas porteur, car le marché du nucléaire est loin d'avoir le vent en poupe, et il faut avoir une bonne dose de culot pour parier sur sa reprise. Quant aux protagonistes qu'il s'agit de regrouper, ce sont des durs à cuire qui n'ont pas la moindre intention de se laisser faire. De l'extérieur, les pontes du nucléaire, dont l'austère Jean Syrota, prédécesseur d'Anne Lauvergeon à la Cogema, se démènent pour faire capoter le projet.Car Topco apour objectif de rapprocher des entreprises réputées impossibles à fusionner. Outre le spécialiste de l'uranium Cogema et les intérêts industriels du Commissariat à l'énergie atomique, il s'agit d'intégrer le constructeur de chaudières nucléaires Framatome. Repris par Alcatel après la faillite de Creusot-Loire, dont il était une filiale, Framatome a toujours défendu son indépendance bec et ongles, et ses dirigeants sont de redoutables lobbyistes. Cerise sur le gâteau, Cogema et Framatome se sont battus comme des chiffonniers, quelques années plus tôt, pour prendre le contrôle du britannique BNFL. Et bien entendu, ce n'est ni l'une ni l'autre qui l'a emporté, mais... l'américain Westing house. Ambiance garantie au moment de procéder à l'inventaire.

Casser les baronnies

Et pourtant, l'ancienne conseillère de François Mitterrand, qui sort tout juste de deux expériences professionnelles peu concluantes à la banque Lazard et dans le groupe de télécommunications Alcatel, va vite montrer qui est la patronne. A la Cogema, qu'elle dirige depuis 1999, elle a déjà manifesté sa capacité à prendre le pouvoir en cassant les trois grandes baronnies - recyclage, mines, services - et en les remplaçant par une douzaine de business units, comme chez n'importe quel producteur de yaourts. Elle a aussi fait partir quelques caciques et recruté largement à l'extérieur. Avec Framatome, dont le joyau est le projet de réacteur européen EPR, codéveloppé avec l'allemand Siemens, elle parachève son entreprise.«Nous n'aurons pas le nucléaire honteux», annonce aux salariés médusés celle qui a décidé d'endosser aux yeux du monde entier le costume de «Miss Nukes». A partir de ce 3 septembre 2001, date de la création d'Areva, Anne Lauvergeon va communiquer sur sa propre image, celle d'une jeune femme élégante, détendue, souriante. Décomplexée, surtout, comme elle en donne l'image sur les plateaux télévisés, où elle s'oppose sans agressivité aux écolos de service. Car il lui faut sortir de l'image désastreuse forgée par ses prédécesseurs, obsédés parle secret, pour deux raisons majeures : elle veut internationaliser le groupe et attirer plus de jeunes talents - en 2007, celui-là a recruté pas moins de 8000 personnes.Certains, au début, se moquent de la crèche et de la conciergerie qu'elle fait installer au siège de l'entreprise, du Défi Areva qui prend en 2003 le départ de la Coupe de l'America, ou du spot télévisé qui passe en boucle à certaines périodes sur l'air entêtant de Funky Town, un tube des années 1980. Mais finalement, Areva devient la quatrième entreprise préférée des ingénieurs des grandes écoles. Et le style Lauvergeon s'impose au moment même où le nucléaire renaît un peu partout dans le monde.

Etendre son territoire

«Nous avons construit ce groupe sur une idée stratégique simple, qui était de mettre fin aux guerres picrocholines franco-françaises. En faisant cela en 2001, nous étions dans le bon calendrier. Nous sommes devenus les numéros un mondiaux et les principaux promoteurs du nucléaire», se réjouit Anne Lauvergeon. Depuis la fusion, elle a étendu le domaine minier du groupe, notamment au Canada, développé ses ventes de combustibles aux Etats-Unis et marqué des points pour le lancement de l'EPR, malgré les difficultés rencontrées sur le chantier d'installation de son tout premier exemplaire, en Finlande. Après la Chine, qui en a acheté deux, Abu Dhabi, le Royaume-Uni, l'Afrique du Sud et même les Etats-Unis s'intéressent au réacteur européen de troisième génération.Mais pour continuer, c'est-à-dire investir les 10 milliards d'euros annoncés en quatre ans, réaliser des acquisitions, et poursuivre son internationalisation, Areva a besoin de moyens qui lui font actuellement défaut. «Notre plan stratégique 20082012 prévoit une augmentation de capital», souligne Anne Lauvergeon. Depuis le premier jour, elle milite pour une introduction en Bourse de l'entreprise nucléaire française, dont l'Etat, bien entendu, resterait non seulement actionnaire, mais majoritaire. Plusieurs ministres des Finances lui ont déjà dit oui, mais n'ont pas eu la chance de rester suffisamment longtemps en poste pour faire aboutir le projet : Laurent Fabius, Nicolas Sarkozy et Hervé Gaymard. Thierry Breton, prenant la succession de ce dernier à Bercy, avait, lui, décrété qu'on ne privatise pas... la bombe nucléaire ! Faisant semblant d'oublier qu'«Atomic Anne», malgré son surnom, n'a rien avoir avec le force de dissuasion.Le gouvernement actuel donnera-t-il satisfaction à Anne Lauvergeon ? L'un des anciens ministres qui lui avait promis l'introduction en Bourse est désormais installé à l'Elysée. Mais le décor a changé. D'abord, la conjoncture s'est encore dégradée depuis l'entrée en Bourse d'EDF. Ensuite, un schéma industriel alternatif est sur la table du président de la République. A vrai dire, il n'est pas vraiment nouveau, puisqu'il s'agit de rapprocher Areva d'Alstom, qui construit des centrales électriques classiques et fournit la partie conventionnelle des centrales nucléaires. «Cela fait vingt ans que nous devrions être ensemble, plaide Patrick Kron, le PDG d'Alstom. Nous servons les mêmes clients, nous les servirons mieux ensemble.» Objectif : créer le numéro un mondial de la génération d'électricité face à General Electric, Toshiba-Westinghouse, ou... Siemens, le partenaire d'Areva, qu'il faudrait alors faire sortir en douceur. Tout en faisant revenir certaines activités, particulièrement stratégiques, dans le giron du CEA, voire d'EDF. Le rapprochement d'Areva et d'Alstom signerait la fin du «Nukes R Us» imaginé par Anne Lauvergeon. La solution la moins dérangeante serait bien sûr... de ne rien décider dans l'immédiat et de laisser les choses en l'état. Après tout, ni Areva ni Alstom ne se sont jamais mieux portés !

La diplomatie de l'atome

Areva, entreprise contrôlée par l'Etat, c'est un peu la France. Et sa présidente, Anne Lauvergeon, en est l'un des ambassadeurs. Un statut qui colle parfaitement à l'ancienne «sherpa» de François Mitterrand, dont la mission était de lui préparer le terrain avant les grands sommets internationaux. En janvier, la présidente du directoire d'Areva est directement intervenue dans la libération des deux journalistes français emprisonnés au Niger, Pierre Creisson et Thomas Dandois. Il est vrai que si les deux reporters ont été retenus près d'un mois dans ce pays, c'était sans doute pour peser sur les négociations avec Areva sur l'uranium, comme l'a écrit la presse locale.Areva, qui a repris l'héritage de la Cogema, exploite en effet des mines dans le nord du pays depuis quarante ans. Or le cours de l'uranium s'est envolé : il a doublé depuis fin 2006, et en cinq ans son prix a été multiplié par quatorze ! A l'issue de négociations ardues, la présidente d'Areva s'est rendue le 13 janvier à Niamey pour rencontrer le président, Mamadou Tandja, et signer un accord prévoyant une hausse de 50% du prix de l'uranium acheté par Areva, pour 2008 et 2009. L'accord prévoit aussi que le groupe français investira 1 milliard d'euros pour développer le site d'Imouraren, dont l'exploitation pourrait permettre au Niger de devenir le deuxième fournisseur mondial d'uranium derrière le Canada. Le 18 janvier, les deux journalistes étaient libérés sous caution."


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